La fermeture du célèbre réseau social par le régime de Ben Ali a provoqué une mobilisation sans précédent chez les internautes. Pour une fois, les censeurs ont dû faire marche arrière. Des opposants aimeraient y voir une faille du système répressif.
C’est face au célèbre message d’erreur “404 - Not Found” que les Facebookers tunisiens se sont retrouvés, le 24 août dernier, en tentant de se connecter à leur “réseau social” préféré. Mais au pays de Ben Ali, “non trouvé” apparaît presque toujours sur les moniteurs pour masquer “l’interdit”, le véritable code d’erreur “403 - Forbidden”. Les “404 bâchées” (en référence à une camionnette populaire…) symbolisent même la censure en Tunisie. Pourtant, cette fois, l’incrédulité, puis la consternation, ont envahi les forums de discussion : “Ils” ont osé fermer Facebook. Pourquoi ?
Mokhtar Yahyaoui, ancien juge démis de ses fonctions en 2001, pour avoir dénoncé l’absence totale d’indépendance de la magistrature tunisienne, et qui tient, depuis, un blog très connu, analyse la situation dans une interview fin août au journal online Afrik.com : “La censure du réseau social Facebook en Tunisie est intervenue après une série de censures de blogs (…) L’apparition d’une sorte de mobilisation autour de la revendication de la liberté d’expression, en dehors des canaux d’opposition classiques, a trouvé dans Facebook le meilleur moyen pour s’exprimer et s’élargir cet été. Le pouvoir était au courant de cette tendance et il semble qu’il a choisi la censure pour couper cet élan”.
Dans un message du 26 août, il détaille sur son blog, Tunisia Watch : “Ils étaient 16 000 au début de l’année, pour arriver à 28 313 tunisiens inscrits sur Facebook le 14 août 2008. À ce rythme-là, en moins d’un an, on peut facilement dépasser les 50 000, voire les 100 000 adhérents. Pour un pays comme la Tunisie, avec ses 10 millions d’habitants et sa chape de plomb, ces chiffres sont tout simplement impressionnants. Trop élevés pour que le parti du président Ben Ali puisse se permettre un tel rassemblement”.
La menace pour le régime tunisien réside surtout dans le fait que Facebook permet de constituer rapidement des groupes d’intérêt commun, souvent autour de thèmes futiles, mais parfois également revendicatifs. De nombreux opposants et défenseurs de droits humains y possèdent un “profil”, comme l’avocat Mohammed Abbou, figure de la lutte pour les droits humains en Tunisie. Or, le gouvernement “a refusé d’accorder l’agrément à toute organisation des droits humains réellement indépendante qui en a fait la demande au cours des dix dernières années”, indique l’ONG Human Rights Watch dans son dernier rapport annuel.
Mais une société virtuelle comme Facebook est beaucoup plus difficile à contrôler, car pour accéder au profil d’une personne, il faut que celle-ci vous accepte comme “ami”. Les cyber-espions tunisiens ont du pain sur la planche !
Vague de protestations
Le “blocage” de Facebook a rapidement soulevé une immense vague de protestations, exprimée en ligne par les jeunes internautes privés d’un précieux espace de liberté, mais aussi par certaines élites. Car en Tunisie, tout le monde semble avoir un profil sur Facebook, depuis les stars du cinéma… jusqu’au président du patronat tunisien. En tout cas, le 2 septembre, à la grande surprise des Tunisiens, le réseau social était à nouveau accessible aux internautes, après dix petits jours de “fermeture”. Le quotidien Alchourouk, proche du pouvoir, écrit le lendemain : “Le président Ben Ali est intervenu personnellement dès qu’il a appris la fermeture du site”. Que faut-il en penser ? “Des pressions venant de milieux proches du pouvoir ont dû peser, des hommes d’affaires influents ont peut-être su être convaincants quant à l’inefficacité d’une telle censure et la faible dangerosité que représente ce réseau pour le pouvoir, argumente Omar Mestiri, directeur de la rédaction de Kalima, premier journal tunisien online. “N’oublions pas que, fait rare, des médias proches de Ben Ali ont publiquement critiqué ce blocage”. Le bannissement de sites web sous prétexte de problèmes techniques est un phénomène courant en Tunisie. Le pays figure depuis des années dans la liste des 15 pays du monde “ennemis d’Internet”, établie par Reporters sans frontières. Le rapport 2006 de l’ONG affirmait que “la politique du président Ben Ali en matière d’Internet est l’une des plus liberticides de la planète” (lire encadré). Presque tous les sites d’information nonétatiques sont censurés : sites d’opposition politique, ONG, médias étrangers, blogs… mais aussi des sites très populaires comme YouTube ou Dailymotion, bloqués pour empêcher la diffusion de vidéos compromettantes pour le régime de Ben Ali.
Résistance numérique
La résistance d’internautes rodés aux méthodes de la censure n’est pas nouvelle. Mais elle s’est amplifiée à partir de 2005, avec la campagne online lancée pour dénoncer la censure pendant que Tunis hébergeait - comble de l’ironie- le Sommet mondial sur la société de l’information. Depuis, le nombre de blogs et de vidéos publiés par des activistes n’a cessé d’augmenter. La fermeture du site de partage de vidéos Dailymotion a déclenché une autre campagne en 2007. Dernier épisode, pendant l’été 2008, la guerre entre internautes et censeurs s’est intensifiée après la publication de vidéos des exactions commises par la police lors des émeutes de Redeyef. Une nouvelle vague de censure des blogs a suivi et les bloggeurs de mieux en mieux organisés ont riposté par une nouvelle campagne. Il faut distinguer, en fait, ces “résistants en ligne”, minoritaires, qui utilisent des moyens de contournement de la censure (notamment les serveurs proxy, qui permettent une connexion indirecte et donc anonyme), et les jeunes gens qui surfent sur Internet, avec des degrés divers d’audace et d’information sur la censure, mais qui viennent tous là pour trouver un petit espace de liberté. Ils échangent des informations en utilisant un langage codé et humoristique, pour tenter d’échapper au filtrage : la censure s’appelle “Ammar 404” ou “Mkass” (les ciseaux), la dictature est la “Tanzanie” et son président se nomme “Khali” (mon oncle). Surtout, ils prennent soin de placer des points au milieu des mots-clés susceptibles d’être pistés par le filtrage (exemple : “démo.cratie”).
Avec l’affaire Facebook, la résistance s’est durcie d’un cran. À la recherche de moyens d’accéder à leur site-culte, beaucoup de jeunes qui, jusque-là, s’étaient tenus à l’écart de toute contestation, ont commencé à utiliser des serveurs proxy. Pendant les dix jours de blocage du réseau social, un bras de fer s’est engagé, entre les internautes, qui inventaient et échangeaient de nouveaux moyens pour accéder au site (dont un lien joliment nommé “FaceOmmek” !), et les censeurs qui, au fur et à mesure, verrouillaient le site de plus en plus efficacement. Bilan : des dizaines de groupes sociaux créés dans Facebook pour protester contre la fermeture du site lui-même, comme le groupe “Si Facebook reste fermé en Tunisie, j’émigre au Niger”, rejoint par 600 membres, mais aussi, au passage, pour protester contre d’autres censures, dont celle de Come4News, un site d’actualité citoyenne.
Génération Internet
Alors, faut-il voir dans cet émoi estival le signe que la jeunesse tunisienne s’est mise à revendiquer plus de libertés individuelles ? Pas si sûr. “Un grand mouvement d’échange de proxy s’est lancé dès la fermeture de Facebook, mais je ne crois pas qu’après sa réouverture, ils continuent d’être utilisés”, nous explique un jeune internaute tunisien. Il est donc probable que la plupart des internautes évitent toujours d’utiliser les proxy pour consulter les sites bloqués - même s’ils en ont entendu parler ou qu’ils les ont testés- et s’autocensurent quand ils chattent ou écrivent dans les forums. D’autant que des rumeurs, soigneusement entretenues, tendent à exagérer dans les esprits la capacité de surveillance en ligne de la police. La peur de s’exprimer politiquement reste très grande dans un pays où on compte, depuis 2001, plus de 12 personnes arrêtées pour avoir surfé ou publié sur Internet. En 2003, à Zarzis, sept jeunes ont été arrêtés et torturés pour avoir téléchargé des documents jugés “dangereux”, et en 2005, l’avocat Mohamed Abbou a été condamné à 3 ans et demi de prison pour avoir dénoncé la torture et la corruption sur son blog. “Le régime tunisien n’autorise aucun espace de contestation sociale ou politique. Le contrôle de l’information par le Pouvoir tunisien revêt un caractère obsessionnel”, rappelle Reporters sans frontières dans son rapport 2008. Dans cette ambiance politique étouffante, il est logique que les plus intimidables soient justement la “génération Internet” : les moins de 25 ans ont grandi avec le parti-Etat de Ben Ali et, pour eux, le pluralisme politique est un concept inconnu. Pourtant, les événements récents montrent sans doute que les censeurs sont dépassés par le phénomène social qu’est devenu Internet. Car malgré leurs moyens techniques, ils sont loin de contrôler l’explosion des réseaux sociaux online aussi fermement que la société réelle. Ainsi, Mokhtar Yahyaoui compare, sur son blog, Facebook à un “parti virtuel”. Et d’analyser : “Apparu aussi soudainement en dehors de toute emprise de l’administration, de la propagande, de la police et de la justice, coïncidant avec une échéance importante (2009, année d’investiture du président pour un 5ème mandat), Facebook doit constituer l’effet d’un tremblement de terre pour une dictature mobilisée à souder toutes les fissures d’un système de soumission qu’elle veut créditer à 99% (score de Ben Ali au scrutin présidentiel de 1999, ndlr)”.
La génération des Facebookers, si elle commençait à utiliser efficacement les outils libérateurs d’Internet, pourrait élargir l’une des rares “fissures” du système répressif tunisien. Peut-être est-ce là ce que le président Ben Ali, réputé être très au fait d’Internet, redoute le plus.
Technique. La police du Net
L’Etat tunisien emploie plusieurs moyens pour contrôler le Web.
Le blocage de l’accès aux sites :
Une étude du projet universitaire OpenNet Initiative a démontré en 2005 que, sur un échantillon de 2000 sites, 10% sont bloqués en Tunisie. En plus des sites pornographiques, trois catégories de sites sont censurés : ceux dédiés aux droits de l’homme, à l’opposition politique, et ceux qui donnent des outils de contournement de la censure.
La surveillance des cybercafés :
Depuis leur création en 1998, la gérance des cybercafés n’est accordée qu’aux membres du RCD, le parti de l’Etat, comme nous l’a expliqué Sihem Bensedrine, porte-parole du Conseil national pour les libertés en Tunisie. Les gérants peuvent relever les activités des clients et les identifier. Mais des “mouchards” électroniques, installés sur les routeurs, ont révélé l’incapacité de nombreux cybers à bloquer l’utilisation des moyens de contournement, ce qui a entraîné la fermeture de pas mal d’entre eux.
L’espionnage des messageries :
La “police du Net” est capable de filtrer les emails par mots-clés, puis de récupérer les mots de passe des messageries sélectionnées. Les policiers peuvent alors, à leur guise, lire les courriels, remplacer leur contenu (généralement par un message farfelu), voire supprimer tous les messages et contacts.
Le piratage de sites :
Presque tous les sites ou blogs d’opposition tunisiens ont été victimes d’au moins une attaque, rapportait en juin Reporters sans frontières. Certaines attaques se sont soldées par la suppression complète des données. Bien qu’il soit impossible de le prouver, la fréquence et le ciblage des opérations de piratage suggèrent qu’elles sont favorisées par la police.
La limitation du débit :
Sites inaccessibles, coupures de connexion et lenteur de téléchargement sont le lot quotidien des utilisateurs tunisiens du Net. “C’est tout simplement à cause des filtres qui sont mis en place !”, explique l’un d’eux sur le forum Marhba.com. Tunisie Télécom diminuerait aussi le débit de tous les fournisseurs d’accès à travers les lignes de téléphonie fixe dont elle détient le monopole. Or, les outils de contournement de la censure (serveurs “proxy”) exigent une bonne bande passante
هناك تعليق واحد:
Viv Tunisie!
Great!! Congratulations!!!
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